relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre
LE CONSEIL DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 100 A,
vu la proposition de la Commission (1),
en coopération avec le Parlement européen (2),
vu l'avis du Comité économique et social (3),
considérant que l'article 8 A du traité prévoit l'établissement, au plus tard le 1er janvier 1993, du marché intérieur comportant un espace sans frontières dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée conformément aux dispositions du traité;
considérant que, en vertu et dans les limites de l'article 36 du traité, les États membres garderont, après 1992, le droit de définir leurs trésors nationaux et la possibilité de prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection de ces trésors nationaux dans cet espace sans frontières;
considérant qu'il convient donc de mettre en place un système permettant aux États membres d'obtenir la restitution, sur leur territoire, des biens culturels classés « trésors nationaux » au sens dudit article 36 et qui ont quitté leur territoire en violation des mesures nationales susmentionnées ou du règlement (CEE) no 3911/92 du Conseil, du 9 décembre 1992, concernant l'exportation de biens culturels (4); que la mise en oeuvre de ce système devrait être la plus simple et la plus efficace possible; qu'il est nécessaire, afin de faciliter la coopération en matière de restitution, de limiter le champ d'application du présent système à des objets appartenant à des catégories communes de biens culturels; que l'annexe de la présente directive n'a, par conséquent, pas pour objet de définir les biens ayant rang de « trésors nationaux » au sens dudit article 36, mais uniquement des catégories de biens susceptibles d'être classés comme tels et pouvant, à ce titre, faire l'objet d'une procédure de restitution au sens de la présente directive;
considérant que la présente directive devrait également couvrir les objets culturels classés trésors nationaux et qui forment partie intégrante des collections publiques ou des inventaires des institutions ecclésiastiques, mais qui n'entrent pas dans ces catégories communes;
considérant qu'il conviendrait d'établir une coopération administrative entre les États membres à l'égard de leurs trésors nationaux, en liaison étroite avec leur coopération dans le domaine des oeuvres d'art volées et comportant notamment l'enregistrement, auprès d'Interpol et d'autres organismes compétents émettant des listes similaires, d'objets culturels perdus, volés ou ayant illicitement quitté le territoire et faisant partie de leurs trésors nationaux et de leurs collections publiques;
considérant que la procédure instituée par la présente directive constitue un premier pas vers une coopération entre États membres dans ce domaine dans le cadre du marché intérieur; que l'objectif est la reconnaissance mutuelle des législations nationales en la matière; qu'il convient, par conséquent, de prévoir notamment que la Commission soit assistée par un comité consultatif;
considérant que le règlement (CEE) no 3911/92 institue, ensemble avec la présente directive, un système communautaire de protection des biens culturels des États membres; que la date à laquelle les États membres doivent se conformer à la présente directive doit être la plus proche possible de la date d'entrée en vigueur dudit règlement; que certains États membres auront besoin d'une période plus longue, compte tenu de la nature de leur système juridique et de la portée des modifications qu'ils devront apporter à leur législation pour mettre en oeuvre la présente directive,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DIRECTIVE:
Article premier
Aux fins de la présente directive, on entend par:
1) « bien culturel »:
- un bien classé, avant ou après avoir quitté illicitement le territoire d'un État membre, comme « trésor national de valeur artistique, historique ou archéologique », conformément à la législation ou aux procédures administratives nationales au sens de l'article 36 du traité
et
- appartenant à l'une des catégories visées à l'annexe ou n'appartenant pas à l'une de ces catégories, mais faisant partie intégrante:
- des collections publiques figurant sur les inventaires des musées, des archives et des fonds de conservation des bibliothèques.
Aux fins de la présente directive, on entend par « collections publiques » les collections qui sont la propriété d'un État membre, d'une autorité locale ou régionale dans un État membre, ou d'une institution située sur le territoire d'un État membre et classées publiques conformément à la législation de cet État membre, à condition qu'une telle institution soit la propriété de cet État membre ou d'une autorité locale ou régionale, ou qu'elle soit financée de façon significative par celui-ci ou l'une ou l'autre autorité,
- des inventaires des institutions ecclésiastiques;
2) « ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre »:
- toute sortie du territoire d'un État membre en violation de la législation de cet État membre en matière de protection des trésors nationaux ou en violation du règlement (CEE) no 3911/92
ou
- tout non-retour à la fin du délai d'une expédition temporaire légale ou toute violation de l'une des autres conditions de cette expédition temporaire;
3) « État membre requérant »: l'État membre dont le bien culturel a quitté illicitement le territoire;
4) « État membre requis »: l'État membre sur le territoire duquel se trouve un bien culturel ayant quitté illicitement le territoire d'un autre État membre;
5) « restitution »: le retour matériel du bien culturel sur le territoire de l'État membre requérant;
6) « possesseur »: la personne qui a la détention matérielle du bien culturel pour son propre compte;
7) « détenteur »: la personne qui a la détention matérielle du bien culturel pour compte d'autrui.
Article 2
Les biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre sont restitués, conformément à la procédure et dans les conditions prévues par la présente directive.
Article 3
Chaque État membre désigne une ou plusieurs autorités centrales pour exercer les fonctions prévues par la présente directive.
Les États membres communiquent à la Commission toutes les autorités centrales qu'ils désignent conformément au présent article.
La Commission publie la liste de ces autorités centrales, ainsi que les changements les concernant, au Journal officiel des Communautés européennes, série C.
Article 4
Les autorités centrales des États membres coopèrent et favorisent la consultation entre les autorités compétentes des États membres. Ces dernières assurent notamment les tâches suivantes:
1) rechercher, à la demande de l'État membre requérant, un bien culturel déterminé ayant quitté illicitement le territoire et l'identité du possesseur et/ou détenteur. Cette demande doit comprendre toutes les informations nécessaires pour faciliter cette recherche, notamment sur la localisation effective ou présumée du bien;
2) notifier aux États membres concernés, la découverte de biens culturels sur leur territoire et s'il y a des motifs raisonnables de présumer que lesdits biens ont quitté illicitement le territoire d'un autre État membre;
3) permettre aux autorités compétentes de l'État membre requérant de vérifier si le bien en question constitue un bien culturel, à condition que la vérification soit effectuée au cours des deux mois suivant la notification prévue au point 2. Si cette vérification n'est pas effectuée dans le délai prévu, les points 4 et 5 ne s'appliquent plus;
4) prendre, en coopération avec l'État membre concerné, toutes les mesures nécessaires à la conservation matérielle du bien culturel;
5) éviter, par des mesures provisoires nécessaires, que le bien culturel soit soustrait à la procédure de restitution;
6) remplir le rôle d'intermédiaire entre le possesseur et/ou le détenteur et l'État membre requérant en matière de restitution. À cet effet, les autorités compétentes de l'État membre requis peuvent, sans préjudice de l'article 5, faciliter la mise en oeuvre d'une procédure d'arbitrage, conformément à la législation nationale de l'État requis et à condition que l'État requérant et le possesseur ou le détenteur leur donnent formellement leur accord.
Article 5
L'État membre requérant peut introduire, à l'encontre du possesseur et, à défaut, à l'encontre du détenteur, une action en restitution d'un bien culturel ayant quitté illicitement son territoire, auprès du tribunal compétent de l'État membre requis.
Pour être recevable, l'acte introductif de l'action en restitution doit être accompagné:
- d'un document décrivant le bien faisant l'objet de la demande et déclarant que celui-ci est un bien culturel,
- d'une déclaration des autorités compétentes de l'État membre requérant selon laquelle le bien culturel a quitté illicitement son territoire.
Article 6
L'autorité centrale de l'État membre requérant informe sans délai l'autorité centrale de l'État membre requis de l'introduction de l'action en restitution afin que soit assurée la restitution du bien en question.
L'autorité centrale de l'État membre requis informe sans délai les autorités centrales des autres États membres.
Article 7
1. Les États membres prévoient dans leur législation que l'action en restitution prévue par la présente directive est prescrite dans un délai d'un an à compter de la date à laquelle l'État membre requérant a eu connaissance du lieu où se trouvait le bien culturel et de l'identité de son possesseur ou détenteur.
En tout état de cause, l'action en restitution se prescrit dans un délai de trente ans à compter de la date où le bien culturel a quitté illicitement le territoire de l'État membre requérant. Toutefois, dans le cas des biens faisant partie des collections publiques visés à l'article 1er paragraphe 1 et des biens ecclésiastiques dans les États membres dans lesquels ils font l'objet d'une protection spéciale conformément à la loi nationale, l'action en restitution se prescrit dans un délai de 75 ans, sauf dans les États membres où l'action est imprescriptible ou dans le cas d'accords bilatéraux entre États membres établissant un délai supérieur à 75 ans.
2. L'action en restitution est irrecevable si la sortie du territoire de l'État membre requérant n'est plus illégale au moment où l'action est introduite.
Article 8
Sous réserve des articles 7 et 13, la restitution du bien culturel en question est ordonnée par le tribunal compétent s'il est établi que ce bien est un bien culturel au sens de l'article 1er paragraphe 1 et que la sortie du territoire national était illicite.
Article 9
Dans le cas où la restitution du bien est ordonnée, le tribunal compétent de l'État membre requis accorde au possesseur une indemnité qu'il estime équitable en fonction des circonstances du cas d'espèce, à condition qu'il soit convaincu que le possesseur a exercé la diligence requise lors de l'acquisition.
La charge de la preuve est régie par la législation de l'État membre requis.
En cas de donation ou de succession, le possesseur ne peut bénéficier d'un statut plus favorable que la personne dont il a acquis le bien à ce titre.
L'État membre requérant est tenu de payer cette indemnité lors de la restitution.
Article 10
Les dépenses découlant de l'exécution de la décision ordonnant la restitution du bien culturel incombent à l'État membre requérant. Il en est de même des frais des mesures visées à l'article 4 point 4.
Article 11
Le paiement de l'indemnité équitable visée à l'article 9 et des dépenses visées à l'article 10 ne porte pas atteinte au droit de l'État membre requérant de réclamer le remboursement de ces montants aux personnes responsables de la sortie illicite du bien culturel de son territoire.
Article 12
La propriété du bien culturel après la restitution est régie par la législation de l'État membre requérant.
Article 13
La présente directive n'est applicable qu'aux biens culturels qui ont quitté illicitement le territoire d'un État membre à partir du 1er janvier 1993.
Article 14
1. Chaque État membre peut étendre son obligation de restitution à d'autres catégories de biens culturels que ceux visés à l'annexe.
2. Chaque État membre peut appliquer le système prévu par la présente directive aux demandes de restitution de biens culturels qui ont quitté illicitement le territoire d'autres États membres avant le 1er janvier 1993.
Article 15
La présente directive ne porte pas atteinte aux actions civiles ou pénales que peuvent engager, conformément au droit national des États membres, l'État membre requérant et/ou le propriétaire auquel un bien culturel a été volé.
Article 16
1. Tous les trois ans, et pour la première fois en février 1996, les États membres adressent à la Commission un rapport concernant l'application de la présente directive.
2. La Commission adresse tous les trois ans au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social un rapport d'évaluation de l'application de la présente directive.
3. Le Conseil réexamine l'efficacité de la présente directive après une période d'application de trois ans et, sur proposition de la Commission, il procède, le cas échéant, aux adaptations nécessaires.
4. En tout état de cause, le Conseil, sur proposition de la Commission, procède tous les trois ans à l'examen et, le cas échéant, à l'actualisation des montants visés à l'annexe, en fonction des indices économiques et monétaires dans la Communauté.
Article 17
La Commission est assistée par le comité institué à l'article 8 du règlement (CEE) no 3911/92.
Le comité examine toute question relative à l'application de l'annexe de la présente directive que son président peut soulever, soit de sa propre initiative, soit à la demande du représentant d'un État membre.
Article 18
Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive dans un délai de neuf mois à compter de son adoption, sauf en ce qui concerne le royaume de Belgique, la république fédérale d'Allemagne et le royaume des Pays-Bas qui doivent se conformer à la présente directive au plus tard douze mois à compter de la date de son adoption. Ils en informent la Commission.
Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d'une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.
Article 19
Les États membres sont destinataires de la présente directive.
Fait à Bruxelles, le 15 mars 1993.
Par le Conseil
Le président
M. JELVED
(1) JO no C 53 du 28. 2. 1992, p. 11.
(2) JO no C 172 du 8. 7. 1992, p. 7.
(3) JO no C 176 du 13. 7. 1992, p. 129.
(4) JO no C 72 du 15. 3. 1993.
(5) JO no C 223 du 31. 8. 1992, p. 10.
(6) JO no L 395 du 31. 12. 1992, p. 1.
ANNEXE
Catégories de biens visées à l'article 1er point 1 deuxième tiret auxquelles les biens classés « trésors nationaux » au sens de l'article 36 du traité doivent appartenir pour pouvoir être restitués conformément à la présente directive A. 1. Objets archéologiques ayant plus de 100 ans et provenant de:
- fouilles ou découvertes terrestres et sous-marines,
- sites archéologiques,
- collections archéologiques.
2. Éléments faisant partie intégrante de monuments artistiques, historiques ou religieux et provenant du démembrement de ceux-ci, ayant plus de 100 ans.
3. Tableaux et peintures faits entièrement à la main, sur tout support et en toutes matières (1).
4. Mosaïques, autres que celles qui entrent dans les catégories 1 ou 2, et dessins faits entièrement à la main, sur tout support et en toutes matières (1).
5. Gravures, estampes, sérigraphies et lithographies originales et leurs matrices respectives, ainsi que les affiches originales (1).
6. Productions originales de l'art statuaire ou de la sculpture et copies obtenues par le même procédé que l'original (1), autres que celles qui entrent dans la catégorie 1.
7. Photographies, films et leurs négatifs (1).
8. Incunables et manuscrits, y compris les cartes géographiques et les partitions musicales, isolés ou en collections (1).
9. Livres ayant plus de 100 ans, isolés ou en collection.
10. Cartes géographiques imprimées ayant plus de 200 ans.
11. Archives de toute nature comportant des éléments de plus de 50 ans, quel que soit leur support.
12. a) Collections (2) et spécimens provenant de collections de zoologie, de botanique, de minéralogie ou d'anatomie;
b) collections (2) présentant un intérêt historique, paléontologique, ethnographique ou numismatique.
13. Moyens de transport ayant plus de 75 ans.
14. Autres objets d'antiquité non repris dans les catégories visées aux points A.1 à A.13, ayant plus de 50 ans.
Les biens culturels visés aux catégories des points A.1 à A.14 ne sont régis par la présente directive que si leur valeur est égale ou supérieure aux seuils financiers figurant au point B.
B. Seuils financiers applicables à certaines catégories visées au point A (en écus)
VALEUR: 0 (zéro)
- 1 (Objets archéologiques)
- 2 (Démembrement de monuments)
- 8 (Incunables et manuscrits)
- 11 (Archives)
15 000
- 4 (Mosaïques et dessins)
- 5 (Gravures)
- 7 (Photographies)
- 10 (Cartes géographiques imprimées)
50 000
- 6 (Statuaire)
- 9 (Livres)
- 12 (Collections)
- 13 (Moyens de transport)
- 14 (Tout autre objet)
150 000
- 3 (Tableaux)
Le respect des conditions relatives aux valeurs financières doit être jugé au moment de l'introduction de la demande en restitution. La valeur financière est celle du bien dans l'État membre requis.
La date de conversion en monnaie nationale des valeurs exprimées en écus à l'annexe est le 1er janvier 1993.
(1) Ayant plus de 50 ans et n'appartenant pas à leurs auteurs.
(2) Telles que définies par la Cour de justice dans son arrêt 252/84, comme suit: « Les objets pour collections au sens de la position 99.05 du tarif douanier commun sont ceux qui présentent les qualités requises pour être admises au sein d'une collection, c'est-à-dire les objets qui sont relativement rares, ne sont pas normalement utilisés conformément à leur destination initiale, font l'objet de transactions spéciales en dehors du commerce habituel des objets similaires utilisables et ont une valeur élevée. »