Note-circulaire n° 2003/002 du 7 janvier 2003 relative à l’archéologie préventive. Régulation des décisions de prescription.
Plusieurs d’entre vous, constatant d’importantes difficultés d’application ou se faisant l’écho des critiques des élus locaux, m’ont fait part de leurs inquiétudes au sujet de la loi du 17 janvier 2001 sur l’archéologie préventive.
Le Parlement a, de son côté, voté mercredi dernier une mesure de réduction de 25 % du montant de la redevance perçue par l’INRAP, qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain. Cette mesure risque, dans les semaines à venir, de rendre encore plus complexe la conduite des opérations d’archéologie préventive. Afin de redonner à l’archéologie préventive un cadre juridique et opérationnel équilibré, je proposerai, dans le courant du mois prochain, une réforme d’ensemble de la loi du 17 janvier 2001.
Dans l’immédiat, je vous demande de bien vouloir faire preuve d’une sélectivité accrue dans les décisions de prescriptions que vous êtes amenés à prendre, ou dont vous avez délégué la signature. Vous trouverez, en annexe de la présente lettre, une note précisant les modalités selon lesquelles cette plus grande sélectivité peut trouver à s’appliquer.
Je vous demande de vous impliquer personnellement dans la mise en oeuvre de ces directives et de me faire part des difficultés que vous rencontrerez dans leur application.
Le ministre de la culture et de la communication,
Jean-Jacques Aillagon
La loi du 17 janvier 2001 relative à l’archéologie préventive, entrée en vigueur avec ses décrets d’application le 1er février 2002, a donné un cadre juridique à une activité qui s’était jusque là inégalement développée, et sans véritable réglementation, sur le territoire national. L’ensemble de ces textes a permis à la France de se mettre en conformité avec les engagements auxquels elle a souscrit en ratifiant la convention de Malte.
L’année 2001 avait déjà connu un doublement des commandes passées par les aménageurs à l’association française pour l’archéologie nationale (AFAN). L’institut national de la recherche archéologique préventive (INRAP), qui s’est substitué dans les droits et obligations de cette association, a donc consacré l’année 2002 à réaliser, en majorité, les opérations établies antérieurement. Parallèlement, la mise en oeuvre du nouveau dispositif a conduit à un doublement du nombre de prescriptions, cela d’autant plus facilement que la loi n’offre pas les outils suffisants pour procéder à une véritable régulation des activités d’archéologie préventive.
De ce fait, l’archéologie préventive, et plus particulièrement l’INRAP, se trouvent aujourd’hui dans une double crise. Crise financière, tout d’abord, car si les prescriptions ont été émises et si les opérations doivent être effectuées, les redevances correspondantes n’ont pas toutes été perçues. La récente réduction par la loi de finances de 25 % des redevances en 2003 ne fera qu’aggraver les difficultés.
Crise des délais d’intervention, ensuite, les opérations prescrites jusqu’à présent requérant déjà la presque totalité des moyens humains très importants que l’INRAP est en mesure de mobiliser pour l’année à venir.
Aussi, la pérennité et l’efficacité de l’archéologie préventive sont plus que jamais conditionnées par une régulation de la croissance de cette activité. La présente note a pour objet de vous proposer un certain nombre de directions pour la mettre en oeuvre.
1. Un usage maîtrisé du pouvoir de prescrire
L’archéologie préventive est partie intégrante de l’archéologie et régie par des principes scientifiques. Comme toute science, elle est faite de choix, et ce d’autant plus qu’elle s’exerce dans l’urgence et doit tenir compte des exigences respectives de la recherche scientifique, de la protection du patrimoine et du développement économique et social. La sauvegarde des vestiges par l’étude scientifique n’a de sens que si les opérations archéologiques de terrain sont suivies de la publication des données ainsi recueillies. Or, le rythme actuel auquel se succèdent les prescriptions ne permet pas à l’INRAP de remplir pleinement ses missions scientifiques, ni de trouver son indispensable équilibre financier.
J’attire donc votre attention sur la nécessité de faire un usage raisonné et maîtrisé de votre pouvoir de prescrire. Il convient d’être très vigilant sur la pertinence scientifique des mesures prescrites. A cet égard, la multiplication des diagnostics décidés sur de petites surfaces pose un problème au regard des résultats que l’on peut légitimement attendre de telles opérations. Le ministère de la culture réfléchit actuellement à une modification du décret d’application de la loi tendant à n’imposer de transmission automatique des dossiers de créations de lotissements, de ZAC et de travaux soumis à études d’impact que lorsque les superficies concernées excédent plusieurs hectares, les autres n’étant transmis que si le projet est situé à l’intérieur d’un zonage établi en application de l’article 1er du décret.
De même, le nombre très important de diagnostics négatifs laisse penser que la présomption de présence de vestiges sur l’emprise des travaux d’aménagement n’est pas appréciée avec suffisamment de rigueur.
Les commissions interrégionales de la recherche archéologique (CIRA) sont des organes placés sous votre présidence et dont la fonction est de vous éclairer sur les choix scientifiques que vous êtes conduits à faire dans l’exercice de vos compétences en matière d’archéologie. Elles peuvent donc vous aider à déterminer les critères généraux d’une programmation interrégionale de l’archéologie préventive. L’inspection générale de l’archéologie, placée auprès de la direction de l’architecture et du patrimoine, est également à votre disposition pour vous éclairer dans ces choix.
La justification scientifique et patrimoniale de la prescription est d’autant plus importante que la réduction du nombre de prescriptions d’archéologie préventive risque d’accroître proportionnellement le nombre des découvertes fortuites. Or le nouveau dispositif, parce qu’il embrassait l’ensemble des opérations d’archéologie préventive, devait avoir également pour effet de diminuer notablement les découvertes fortuites.
Le budget de l’Etat a donc été déconcentré au sein des DRAC, qui doivent désormais les financer. Le souci d’éviter la multiplication de ces découvertes, qui perturbent profondément les travaux d’aménagement, fait partie des éléments à prendre en considération au moment d’effectuer le choix des opérations à prescrire.
2. Des prescriptions motivées
Un observatoire de la mise en oeuvre du nouveau dispositif, réunissant la sous-direction de l’archéologie et la direction administrative et scientifique de l’INRAP, examine depuis le mois de mars un échantillon de prescriptions d’archéologie préventive et de projets d’opération. Il est apparu que très peu de prescriptions de diagnostics respectent la formalité de la motivation. Le plus souvent, l’exemple de justification qui figure sur les modèles de la circulaire du 3 mai 2002 est purement et simplement repris. Les choix que nous vous demandons d’effectuer impliquent que chaque prescription soit nécessaire à la protection du patrimoine ou au développement de sa connaissance. Les éléments d’appréciation qui ont déterminé ce choix doivent donc être exprimés dans la décision : localisation du terrain au regard des éléments existants de connaissance, qui doivent être détaillés ; éléments permettant de présumer de la présence de vestiges ; importance de la superficie en rapport avec ces éléments de présomption ; etc…
La motivation, qui doit être aussi précise que possible et toujours individualisée, est une condition de régularité formelle de l’ensemble des prescriptions, y compris de diagnostic. Le défaut ou l’insuffisance de motivation est considérée par le juge administratif comme la méconnaissance d’une formalité substantielle, qui entraîne l’annulation de la décision, aussi fondée soit-elle par ailleurs. Il est donc indispensable de veiller à ce que cette règle soit respectée dans tous les cas.
3. Le réexamen des prescriptions édictées en 2002
Au terme de cette première année de mise en oeuvre du nouveau dispositif, le constat d’une croissance excessive des prescriptions ne peut qu’être rappelé.
La maîtrise de cette croissance implique de sortir d’une dynamique incontrôlée qui conduirait l’INRAP à intervenir avec une année de délai, ce qui ferait peser sur les aménageurs une contrainte inacceptable. Elle seule vous permettra de conserver la marge de manoeuvre nécessaire pour pouvoir prescrire en 2003 les nouvelles opérations archéologiques indispensables à la sauvegarde de vestiges menacés par les aménagements futurs.
Pour ce faire, il apparaît nécessaire de réexaminer, à la lumière des principes ci-dessus exposés, les prescriptions de diagnostics émises au cours de l’année 2002 qui n’ont pas encore fait l’objet d’une convention signée entre l’aménageur et l’INRAP. Celles dont la pertinence scientifique et patrimoniale n’apparaît plus comme une priorité devront être retirées. Les décisions ayant fait l’objet d’un recours gracieux devront être examinées en priorité. Les propositions de retrait pourront vous être faites au terme de réunions tenues avec le directeur interrégional de l’INRAP et le conservateur régional de l’archéologie sous la présidence de l’inspection générale de l’archéologie et cela dès le début de 2003.
Loin de laisser détruire des éléments du patrimoine archéologique, le choix de ne prescrire que sur certaines opérations, s’il est fondé sur des critères scientifiques, conduira à de meilleures opérations archéologiques et, par conséquent, à une meilleure connaissance de notre passé. Est également cette attitude, vigilante et responsable qui permettra d’inscrire l’avenir de l’INRAP dans la sérénité nécessaire à l’exercice de ses missions de fouilles et de recherche et à la France de respecter les objectifs qu’elle s’est donné en matière d’archéologie préventive.